L’arrivée du Coronavirus en Belgique a suscité bon nombre de questions émanant de nos membres. Raison pour laquelle nous avons sollicité le Docteur Bonfond, médecin expert, spécialiste des maladies professionnelles et auteur de l’article « La lombalgie peut-elle être reconnue comme maladie professionnelle chez les policiers ? »
Qu’en est-il chez les agents du secteur public en « première ligne » dans cette pandémie ?
Evidemment, aucune étude épidémiologique n’a mesuré la prévalence de l’infection par le COVID-19 chez ces acteurs de terrain mais malheureusement, à cette heure, les statistiques annoncent qu’une partie de ceux-ci, en première ligne pour affronter cette pandémie, seront d’avantage atteints par le virus.
Quel est le cadre législatif ?
Pour les travailleurs du secteur public, il s’agit de la loi du 3 juillet 1967, loi sur [la prévention ou] la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public. <intitulé modifié par L 1998-10-19/37, art. 2, 013; En vigueur : 25-11-1998>.
Cette loi est applicable aux membres du secteur public appartenant à :
1° aux administrations fédérales et aux autres services de l’Etat, y compris le pouvoir judiciaire;
2° aux personnes morales de droit public et aux organismes d’intérêt public soumis à l’autorité, au pouvoir de contrôle ou de tutelle de l’Etat, ainsi qu’aux entreprises publiques autonomes classées à l’article 1er, § 4, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques [ les sociétés anonymes de droit public « Brussels South Charleroi Airport Security », « Liège Airport Security » et « le circuit de Spa-Francorchamps, »]4 (uniquement en ce qui concerne le personnel non engagé par contrat de travail) et aux institutions publiques de sécurité sociale visées à l’article 3, § 2, de l’arrêté royal du 3 avril 1997 portant des mesures en vue de la responsabilisation des institutions publiques de sécurité sociale, en application de l’article 47 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions (et à la société anonyme de droit privé Brussels International Airport Company ou de ses successeurs juridiques, uniquement en ce qui concerne les membres du personnel visés à l’article 1, 15° de l’arrêté royal du 27 mai 2004 relatif à la transformation de B.I.A.C. en société anonyme de droit privé et aux installations aéroportuaires;)
3° aux administrations et autres services des Gouvernements de Communauté ou de Région ainsi qu’aux administrations et autres services du Collège réuni de la Commission communautaire commune;
4° aux administrations et autres services des Collèges des Commissions communautaires française et flamande de la Région de Bruxelles-Capitale;
5° aux établissements d’enseignement organisé par et au nom des Communautés ou des Commissions communautaires;
6° aux établissements d’enseignement subventionnés;
7° aux centres psycho-médico-sociaux subventionnés, aux offices d’orientation professionnelle subventionnés et aux centres subventionnés d’encadrement des élèves.
8° aux personnes morales de droit public et aux organismes d’intérêt public soumis à l’autorité, au contrôle ou à la tutelle d’une Communauté, d’une Région, de la Commission communautaire commune ou de la Commission communautaire française
9° aux provinces, aux communes, aux intercommunales, aux établissements subordonnés aux provinces et aux communes, aux agglomérations et aux fédérations de communes.
10° la police fédérale et l’inspection générale de la police fédérale et de la police locale, y compris les militaires visés à l’article 4, § 2, de la loi du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police, aussi longtemps qu’ils appartiennent au cadre administratif et logistique.
11° les corps de police locale y compris les militaires visés à l’article 4, § 2, de la loi du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police, aussi longtemps qu’ils appartiennent au cadre administratif et logistique.
12° aux zones de secours, en ce compris les membres volontaires du personnel opérationnel. Toutefois, en ce qui concerne ces derniers, seules les dispositions relatives aux maladies professionnelles leur sont applicables.
13° aux juridictions administratives flamandes.
Par dérogation à l’alinéa 1er, les militaires et les personnes assimilées aux militaires restent régis par les lois sur les pensions de réparation, coordonnées le 5 octobre 1948.
(La dérogation prévue à l’alinéa précédent n’est pas applicable aux membres du personnel du corps opérationnel de la gendarmerie qui sont détachés auprès des services d’enquêtes des comités permanents de contrôle des services de police et de renseignements.)
Toutefois, pour les accidents de travail, les accidents survenus sur le chemin du travail et les maladies professionnelles dont ils sont victimes pendant la période de leur utilisation, les [militaires qui sont utilisés conformément à la loi du 20 mai 1994 relative à l’utilisation de militaires en dehors des Forces armées et conformément au Titre V, Section 2, de la loi du 28 février 2007 fixant le statut des militaires et candidats militaires du cadre actif des Forces armées] sont, pour l’application de la présente loi, assimilés au personnel nommé à titre définitif de l’administration, du service ou de l’organisme auprès duquel ils sont utilisés.
(Pour l’application de l’alinéa 1er, il y a lieu également d’entendre par » personnel temporaire » les membres du personnel placés sous statut mais qui ne sont pas nommés à titre définitif.)
(Sauf disposition contraire, le membre du personnel nommé à titre définitif qui est autorisé à prester ses services de manière complète auprès d’un des services publics visés au présent article, autres que celui auquel il appartient, est assimilé, pour les accidents du travail, les accidents survenus sur le chemin du travail et les maladies professionnelles dont il est victime pendant ces prestations, au personnel nommé à titre définitif du service public auprès duquel il effectue lesdites prestations. La victime peut, dans ce cas, revendiquer l’application de l’article 14, § 1er, 5°, contre le service public auprès duquel il effectue ces prestations.
Pour les maladies professionnelles dont ils sont victimes pendant la période de leur mise à disposition, les militaires mis à disposition en vertu de la loi du 16 juillet 2005 instituant le transfert de certains militaires vers un employeur public sont, pour l’application de la présente loi, assimilés au personnel nommé à titre définitif de l’administration, du service, de l’organisme ou de la personne morale auprès duquel ils sont mis à disposition
Art. 1/1. [La présente loi n’est pas applicable aux membres du personnel de HR Rail, mis ou non à la disposition de la SNCB ou d’Infrabel, qu’ils soient dans un lien statutaire avec HR Rail ou engagés par contrat de travail.
Art. 1bis.Selon les modalités fixées à l’article 1er, la présente loi est rendue applicable :
1° aux ministres des cultes catholique, protestant, orthodoxe, anglican, israélite, aux imams du culte islamique, aux délégués du Conseil central laïque, aux aumôniers et aux conseillers moraux;
2° aux membres du personnel des institutions universitaires subventionnées par les Communautés, dont le régime de pension de retraite est à charge du Trésor public, pour autant que ces institutions en fassent la demande;
3° aux membres du personnel des organismes internationaux à participation belge, qui sont gérés par le Ministère de la Défense.
Art. 1ter.En vertu des modalités fixées à l’article 1er, la présente loi est rendue applicable aux personnes qui effectuent un travail dans les administrations, services ou institutions visés aux articles 1er et 1erbis dans le cadre d’une formation pour un travail rémunéré.
Par dérogation à l’alinéa 1er, la loi n’est pas applicable aux formations qui sont organisées en dehors d’un cadre légal.
Pour l’application de la présente loi, pour les personnes visées à l’alinéa 1er sont assimilés à :
1° membre du personnel : la personne qui effectue un travail dans le cadre d’une formation pour un travail rémunéré;
2° fonction : la formation qui comprend des prestations de travail;
3° contrat de travail : le contrat relatif à la formation pour un travail rémunéré.
Le Roi peut, pour les catégories de personnes qu’Il détermine, désigner d’autres administrations, personnes morales ou institutions que celles visées aux articles 1er et 1erbis pour l’application des articles 2bis, 14, 14bis, 16, 19, alinéa 2, 20sexies, 20octies, 20novies et 20decies de la présente loi.
L’article 2 de cette loi précise : « On entend par maladies professionnelles celles qui sont reconnues comme telles en exécution des articles 30 et 30bis des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970. » 2007-05-17/46, art. 4, 3°, 023; En vigueur : 01-07-2007>.
Cette disposition précise en fait que les deux régimes de reconnaissance des maladies professionnelles actuellement en vigueur (« liste » et « hors liste ») sont d’application dans le secteur public. Bien entendu, l’infection par le covid-19 n’apparaît pas à la liste des maladies professionnelles belges.
Il n’y a donc qu’une seule possibilité pour les acteurs du service public d’obtenir la reconnaissance de leur infection par le COVID-19 comme maladie professionnelle, càd en système « hors liste » (article 30 bis) et dans ce cas, le lien de causalité devra être établi.
L’exposition au risque
La loi-cadre du 3.7.1967 et les arrêtés d’exécution ne définissent pas le risque professionnel de la maladie comme le font, pour le secteur privé, les lois coordonnées qui énoncent que l’exposition à l’influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession et que cette influence nocive doit être nettement plus grande que celle subie par la population en général.
Dès lors dans le secteur public, seule l’exposition au risque suffit, même si l’on peut raisonnablement considérer que l’exposition au risque doit être tout simplement plus grande que celle subie par la population en général.
La présomption de l’exposition au risque dans le secteur public.
L’AR du 5/1/1971 en son Art. 4 et l’AR du 21.1.1993 en son Art 5. Précisent que La réparation du dommage résultant d’une maladie professionnelle est due, lorsqu’un membre du personnel, victime d’une maladie professionnelle, a été exposé au risque professionnel de ladite maladie pendant toute la période ou pendant une partie de celle-ci au cours de laquelle il appartient à l’une des catégories de bénéficiaires des dispositions de ces A.R.
Ce point est important
En ce qui concerne l’exposition au risque, la situation des agents du secteur publics diffère donc de celle des travailleurs du secteur privé. En effet la loi précise que « Est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque visé à l’alinéa 1er, tout travail effectué dans les administrations, services, organismes et établissements au cours des périodes citées audit alinéa ».
La présomption est établie « jusqu’à preuve du contraire ». Cela signifie qu’il appartient à l’employeur de démontrer que l’agent n’a pas été exposé au risque de la maladie.
La présomption et l’article 30bis des lois coordonnées
Cette présomption d’exposition s’applique-t-elle aussi pour l’infection au COVID-19a qui n’est pas reprise dans la liste des maladies professionnelles ?
Rappelons que l’article 30bis précise que « la preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie est à charge de la victime ».
Les textes des AR établissant la présomption générale d’exposition au risque semblent ne pas faire de distinction. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039F) que la présomption d’exposition s’applique également aux maladies hors liste. Dès lors que la maladie est établie et qu’elle est en lien de causalité avec ladite exposition. La Cour du travail de Mons, dans un arrêt récent (28 mars 2018) a confirmé cette jurisprudence.
En résumé
Un travailleur du service public souhaitant obtenir la reconnaissance de son infection au COVID-19 comme maladie professionnelle doit :
- Prouver l’existence de sa maladie par des documents médicaux.
- Prouver que son exposition au risque de présenter cette maladie est plus grande que celle subie par la population en général. En fait, il appartient à l’employeur de démontrer que l’agent n’a pas été exposé au risque de la maladie.
Puisqu’il s’agit d’une maladie n’appartenant pas à la liste, il doit en plus :
- Etablir un lien de causalité entre sa maladie et l’exposition au risque de la dite maladie. Il doit prouver que sa maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de sa profession.
La Cour de cassation a rendu un arrêt d’importance sur cette notion de « lien direct et déterminant ». Rappelant les termes de la recommandation de la Commission des Communautés européennes aux Etats membres concernant l’article 30bis dans les lois coordonnées, la Cour suprême précise : « Qu’il ne ressort pas des travaux parlementaires que, par les termes « déterminante et directe », l’article 30 bis ait disposé que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie. Que ce lien de causalité ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de la maladie ; que cet article n’exclut pas une prédisposition, ni n’impose que l’ayant droit doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition…. (Cass, 2 février 1998, Pas., n°58).
Il y a donc causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que coexistent d’autres causes, étrangères à l’exercice de la profession. Dès lors que la victime établit ce lien entre la maladie et l’exercice de sa profession, elle n’est pas tenue de prouver l’importance de l’influence des autres causes potentielles de celle-ci (S.REMOUCHAMPS, p.489).
Face à cette obligation, pour les acteurs de première ligne, de prouver que l’exposition au risque de présenter cette maladie est plus grande chez eux que dans la population en général, il faudra réaliser une étude épidémiologique, visant à mesurer la prévalence (fréquence) de la maladie chez les travailleurs des secteurs concernés. L’hypothèse est bien entendu que la prévalence de la maladie chez ces acteurs de première ligne est supérieure à celle de la population en générale.
Si cette hypothèse est confirmée par cette étude, il s’agirait d’un élément déterminant pour faire admettre que ces acteurs de première ligne ont bien été exposés au risque professionnel de ladite maladie pendant leur activité professionnelle. Ce qui légitimerait incontestablement la demande de reconnaissance de l’infection au COVID-19 comme maladie professionnelle chez ces travailleurs !
Docteur Philippe BONFOND, médecin expert de recours, philippe.bonfond@docexpert.be